Débat organisé par la Fondation Robert Krieps le 6 novembre 2014 au Cercle-Cité à Luxembourg avec les députés Claude Adam (Verts), Alex Bodry (LSAP), Anne Brasseur (DP), Paul-Henri Meyers (CSV). Introduction par Fernand Fehlen, enseignant chercheur à l’Université du Luxembourg.
Modération par Marc Limpach
L’introduction de Fernand Fehlen
Fernand Fehlen expose les conséquences du système électoral à la proportionnelle de liste dans quatre circonscriptions.
Le panachage à l’intérieur d’une liste, mais surtout le panachage entre deux ou plusieurs listes contribue à créer un lien étroit entre l’électeur et l’élu. Il encourage l’inertie politique et rend difficile le renouvellement des élites politiques. Il ne permet pas d’améliorer la représentation politique des femmes p.ex. à travers un système de quota. Par ailleurs, le panachage court-circuite le rôle des partis dans le choix du personnel politique.
Le découpage du pays en deux petites circonscriptions et en deux très petites circonscriptions contribue à dégager un personnel politique et une culture politique étroitement liés à la dimension des circonscriptions.
Le principe du système proportionnel est de donner à chaque voix le même poids. Or le système d’Hondt appliqué au Luxembourg désavantage les petits partis. Il est en train d’être abandonné un peu partout où il a été appliqué jusqu’ici. Le découpage en 4 circonscriptions renforce les désavantages du système. Lors des dernières élections, les sièges de reste ont été attribués aux trois grands partis. Dans la circonscription de l’est il faut 12,8% des voix, soit 1/8e pour obtenir un siège. Pour un député dans le centre, il faut 3 000 électeurs, dans le nord 4400.
Comment réformer le système ? Fernand Fehlen ne pense pas qu’il soit possible d’obtenir l’abandon du panachage et du découpage en circonscriptions et le remplacement par la circonscription unique. Il propose d’avancer pragmatiquement. Il décrit le système de Puckelsheim, appliqué à Zurich , qui part d’une circonscription unique virtuelle pour déterminer l’attribution des sièges aux partis en lice pour les distribuer ensuite selon les circonscriptions. De la sorte l’attribution des sièges se rapproche autant que possible du nombre de voix obtenues par chaque parti.
Une autre démarche consisterait à introduire une circonscription unique. On pourrait élire par panachage une moitié des sièges et par scrutin de liste pur l’autre moitié. Si l’on garde à l’esprit que les élections ont non seulement la fonction de refléter fidèlement les opinions des électeurs, mais aussi d’obtenir une majorité stable, il faudra s’interroger sur la question d’un seuil de voix pour avoir un siège.
Le débat
Le modérateur Marc Limpach propose un premier tour de table aux participants.
Alex Bodry remarque que c’est le bon moment de parler du système électoral puisque nous en sommes à la révision constitutionnelle et qu’en matière d’élection tout est dans la Constitution sauf le panachage. Il est également prévu de mettre sur le métier la loi électorale pour éliminer certaines incongruités.
Pour l’intervenant, la révision de la loi électorale s’impose pour différentes raisons. D’abord la population électorale actuelle du Grand-Duché est la plus âgée en Europe, d’où la nécessité d’une ouverture vers les jeunes et les non-Luxembourgeois. Ensuite les femmes sont sous représentées ; une modulation des finances des partis pour augmenter le nombre de candidatures de femmes pourrait y remédier. Il y a un accord politique au Gouvernement pour aller dans cette voie.
Quant au système d’Hondt, Alex Bodry signale que ce système est encore celui qui est le plus répandu en Europe et qu’il permet d’avoir des majorités stables. Par ailleurs, si les voix sont plus éparpillées sur de petits partis, cela renforce d’autant le parti dominant qui devient le pivot de la vie politique et il sera d’autant plus difficile de trouver des majorités alternatives.
L’orateur fait remarquer que le système électoral idéal n’existe pas et que le système proportionnel avec des listes bloquées, c’est-à-dire sans vote préférentiel, donne lieu à des marchandages peu reluisants dans les partis.
Il constate encore que contrairement à l’évolution du panachage qui a augmenté depuis les années soixante, ce dernier s’est réduit en 2013 à ¼ des voix et que les scrutins de liste ont fortement augmenté, surtout au CSV. Le système est donc moins inerte qu’on ne pourrait le penser.
Alex Bodry pense cependant qu’on pourrait réduire le panachage en ne le permettant que sur 2 ou 3 listes.
Il ne voit ni la possibilité ni la nécessité de modifier le système fondamentalement, et d’ailleurs aucune majorité sérieuse n’est apparue au cours des débats autour de la Constitution qui irait dans ce sens. Mais rien n’empêche que ces questions soient discutées avec les citoyens, dans le cadre de la vaste discussion sur une nouvelle Constitution qui aura lieu en vue du référendum prévu.
Paul-Henri Meyers remarque qu’au cours des travaux de la révision constitutionnelle aucun sujet n’a été tabou. Cependant, il n’y a pas eu d’enthousiasme énorme pour changer le système électoral. De toute façon il faut savoir qu’il faut réunir une majorité de 2/3 pour changer quoi que ce soit.
Il est d’avis que plus que les partis les électeurs seraient plutôt en faveur d’une circonscription unique. Etant donné que le député représente le pays tout entier, selon la Constitution, on peut comprendre que les électeurs aimeraient pouvoir voter pour les acteurs politiques importants quelle que soit la circonscription à laquelle ils appartiennent. Mais d’autre part, les électeurs du nord et de l’est tiennent aussi à ce que des députés de leur région soient élus. Les élections européennes ont montré que les électeurs de toutes les circonscriptions sont prêts à voter pour des personnalités d’autres circonscriptions.
Quant au panachage, les électeurs veulent voter pour des personnalités plutôt que pour des listes. On ne peut pas abolir le panachage, mais peut-être peut-on l’orienter autrement et trouver un meilleur équilibre entre partis et personnalités. Finalement le système doit rester simple.
Il faut rester ouvert aux propositions techniques pour améliorer le système (Puckelsheim) et avoir des listes plus équilibrées hommes/femmes.
Quant au droit de vote des étrangers, l’intervenant rappelle qu’il avait proposé de prévoir une disposition dans la Constitution qui permettrait d’accorder ce droit par une loi spéciale à voter à la majorité des 2/3. Il propose d’ouvrir le droit de vote aux étrangers en facilitant l’acquisition de la nationalité. Pour l’heure, il rappelle qu’il avait pensé à un délai de 15 à 20 ans de résidence au Luxembourg pour accorder le droit de vote aux étrangers, mais constate que la question retenue pour le référendum consultatif avec le délai de 10 ans est très large et pourrait trouver l’ accord de la part de la population luxembourgeoise. Son parti avait appréhendé une confrontation qui nuirait à la cohésion et au renom du pays.
Anne Brasseur explique que le Conseil de l’Europe dont elle préside l’assemblée parlementaire en ce moment a fait une étude des 47 pays membres dont il faut conclure que le choix d’un système ne peut et ne doit être dicté par un calcul électoral du moment. Elle regrette à cet égard que sa famille politique libérale se soit élevée en 1919 contre le droit de vote des femmes par calcul électoral. Personnellement, élue depuis 1974, elle n’a jamais hésité à prendre des décisions impopulaires comme ministre et échevin et à voter à contre courant. Cela n’a pas nui à sa réélection.
Elle rappelle que la Commission de Venise du Conseil de l’Europe a retenu en 2005 que la résidence dans un pays peut servir de critère pour l’accès au droit de vote et aboutir à l’égalité de traitement de tous les citoyens. De même un rapport de l’Assemblée parlementaire a incité les Etats membres à réexaminer les restrictions imposées à la participation politique. Le Luxembourg pourrait utiliser les travaux du Conseil de l’Europe pour son débat sur le droit de vote des non Luxembourgeois.
Elle est d’avis qu’il faut lancer le débat sur le système électoral. Le Luxembourg a un système qui fonctionne, contrairement à d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe. Quant à la circonscription, elle pense que le découpage en quatre circonscriptions permet aux électeurs de se sentir mieux représentés que dans une circonscription unique.
Quant au panachage, elle peut imaginer qu’on pourrait le restreindre dans une certaine mesure, mais elle pense que les systèmes de listes bloquées sont peu adaptés à exprimer la volonté des électeurs.
Claude Adam signale que les Verts se sont prononcés pour une seule circonscription dans leur programme électoral. La raison en est que le choix des électeurs sera plus grand dans une circonscription unique qui est logique dans un pays où la mobilité des électeurs rend désuet le découpage en 4 circonscriptions. Les Verts sont pour l’abolition du panachage ou du moins pour le restreindre.
Alex Bodry signale qu’il y a une circonscription unique pour les élections européennes ce qui a eu comme conséquence que cinq candidats ont concentré sur eux la moitié des votes. Le risque existe que dans une circonscription unique 5 ou 6 candidats têtes de liste auraient le plus de votes de préférence et que le reste des candidats se distinguerait très peu entre eux. Il propose de revoir le découpage des circonscriptions, fondé actuellement sur les cantons qui ne correspondent plus à aucune réalité sociale et économique, citant l’exemple de Bridel dont la population tend plus vers le centre que vers le sud.
Il se prononce ensuite pour le non cumul des mandats électifs, donc le député professionnel à plein temps, nécessaire pour traiter sérieusement tous les problèmes, dont p.ex. les questions européennes que la Chambre ne traite toujours pas à part entière. Il verrait aussi une réduction du nombre de députés dans cette hypothèse et la fixation des incompatibilités.
Paul-Henri Meyers se prononce pour la limitation du cumul de mandats. Étant donné le grand nombre de mandataires locaux à la Chambre, ce sera certes difficile à décider. Il faudra donc trouver une transition pragmatique plutôt que de trancher tout de suite.
Il signale que le Conseil d’État n’est pas une deuxième Chambre, mais un organe au service du Gouvernement pour examiner les lois d’un point de vue juridique. Pour limiter le danger de voir le Conseil d’État bloquer le processus législatif, on pense à lui imposer un délai pour ses avis ou à demander au Conseil d’État d’indiquer lui-même un délai. De toute façon, la Chambre pourrait traiter et voter un projet de loi article par article même sans avis, mais ne pourrait pas conclure sans cet avis.
La question qui s’est posée, c’est la composition telle qu’elle est pratiquée actuellement. Le Gouvernement a l’intention de soumettre un projet de loi à cet effet.
Anne Brasseur donne à penser que l’abrogation du cumul des mandats conduira au bourgmestre à plein temps qui devrait être mieux rémunéré qu’à l’heure actuelle. A l’heure actuelle le bourgmestre reçoit une indemnité, mais n’est pas assuré. S’il est député, le mandataire communal est mieux rémunéré et assuré. Si on interdit le cumul, il faudra élaborer un statut pour le bourgmestre. Il faudra distinguer entre les grandes et petites communes car on ne pourrait pas rémunérer le bourgmestre d’une petite commune de la même façon que celui d’une grande.
Quant à la réduction de la durée d’un mandat ministériel elle donne à penser que le personnel politique est relativement peu nombreux dans notre pays. Il est donc normal de pouvoir redevenir ministre après une interruption d’une législature au moins. En tout cas, il est utile de poser cette question au référendum qui aura à son avis une réponse majoritairement positive.
Le Conseil d’État est un organe utile pour revoir la légistique dans les projets élaborés dans les officines gouvernementales.
Claude Adam est d’avis qu’il faut revoir la composition du Conseil d’État et limiter la durée du mandat. Ils s’opposent au double mandat puisque le seul mandat de député comporte suffisamment de travail pour occuper à plein temps les élus. Claude Adam indique qu’il est membre de sept commissions avec des compétences importantes et n’a droit qu’ à un demi collaborateur.
Un auditeur se prononce pour la circonscription unique puisque le découpage en quatre circonscriptions constitue un charcutage absurde et encourage le clientélisme. Un autre prend acte que quatre orateurs se sont montrés favorables à la circonscription unique et trois veulent maintenir le panachage. Il se demande comment cela pourrait fonctionner ensemble (circonscription unique et panachage) car il y aurait alors environ 600 candidats (60 x 10 listes). Il cite le cas de Bridel qui fait partie de la circonscription du sud alors que la population provient majoritairement du centre, y travaille et s’y rend régulièrement plutôt que dans le sud. Ne pourrait-on pas modifier au moins la limite des cantons (par la loi) pour adapter les circonscriptions aux données sociales et économiques ?
Paul-Henri Meyers remarque que les progrès de la fusion de communes permettront peut-être un jour de se passer des cantons pour constituer les circonscriptions.
Alex Bodry, à ce propos, fait remarquer qu’il restera toujours un vote local et qu’il est nécessaire de représenter non seulement les centres très fortement peuplés, mais aussi des régions moins peuplées. Il voit la possibilité de combiner deux modèles pour une circonscription unique: des mandats directs pour des personnalités dans de petites circonscriptions et des mandats de liste pour les partis dans une circonscription unique. Mais en tout état de cause il faudra trouver une majorité de 2/3 pour changer le système, ce qui sera très difficile.
Claude Adam abonde dans le sens d’un système mixte, avec pour moitié une liste nationale et pour moitié des circonscriptions. Un intervenant ne partage pas la remarque que le personnel politique soit rare. Il est d’avis que beaucoup de jeunes sont prêts à prendre la relève, mais que le système lui semble assez sclérosé.
Une question concerne la prise en compte du nombre d’électeurs et de résidents. Enfin un auditeur pose la question de l’obligation de vote que le Luxembourg est un des rares pays avec la Belgique de maintenir.
A la question du modérateur sur l’obligation de vote, Alex Bodry trouve qu’elle est utile dans un petit pays et qu’il faut la prendre au sérieux. Il ne trouve pas normal que ce soit l’abstention qui fasse la décision plutôt que la participation. Ce qui le dérange, c’est que l’obligation de vote n’est plus sanctionnée, ce qui n’est pas sérieux.
De même que Claude Adam, Alex Bodry pense que le Conseil d’État devrait définir des profils pour ses mandats.
Paul-Henri Meyers remarque que le Conseil d’État a la mission de revoir des lois, donc il faut des membres qui s’y retrouvent. Il remarque que la Commission institutionnelle n’a pas proposé d’abolir l’obligation de vote. Voter est un devoir face à la collectivité.
La proposition de loi Gibéryen refusée par la Chambre a voulu prendre en compte uniquement les électeurs, ce qui ne serait pas un signal logique au moment où nous essayons d’élargir la population politique.
Claude Adam veut maintenir l’obligation de vote pour tous les électeurs et réagir si un jour elle ne devait plus être observée. Il est d’avis qu’il faut tenir compte des électeurs et de la population résidente à la fois.
[ Ce résumé succinct, établi par la Fondation Robert Krieps, reprend l’essentiel des interventions, mais n’est pas une transcription complète du débat et ne peut engager la responsabilité des intervenants. Les lecteurs intéressés se reporteront à l’enregistrement du débat sur le site de la FRK qui seul fait foi de ce qui a été dit lors de la table-ronde. ]