Quand on parle d’élections, on réfléchit rarement au système dans son ensemble et aux conséquences de ce système pour notre vie politique.
Or, ce système n’est pas neutre.
Les règles utilisées pour faire élire les représentants du peuple ont une importance capitale pour la façon dont fonctionnent la démocratie et la manière de gouverner l’État.
Ces règles sont utilisées au Luxembourg pour désigner les représentants communaux dans les communes de plus de 3000 habitants, les membres de la Chambre des Députés ainsi que six députés européens. Elles datent de la fin de la Première Guerre mondiale.
En 1919, quand notre pays s’est transformé en démocratie moderne, avec le droit de vote pour tous, femmes et hommes, le système proportionnel a remplacé le scrutin majoritaire à deux tours par canton en vigueur tout au long du 19e siècle dans un État dominé par le monarque.
Le système actuellement en vigueur a donc presque cent ans d’âge pendant lesquels il a changé à peine alors que la société a énormément changé depuis lors.
Ces dernières années, on a relevé un grand nombre de propositions en relation avec le système électoral. Elles ont le plus souvent été faites en rapport avec le nombre élevé de non-nationaux dans la population.
Cette question a été soulevée d’abord suite au Traité de Maastricht (1993). La citoyenneté européenne comprend le droit de vote actif et passif aux élections locales et européennes pour les non-nationaux ressortissants d’un pays de l’UE. La dérogation accordée dans le Traité à des États membres dont la population comporte plus de 20% de non-nationaux reste toujours appliquée par le Luxembourg pour les élections communales (5 années de résidence).
Pour amener les non-nationaux à s’inscrire sur les listes électorales, le délai entre l’inscription et la date de l’élection a été réduit à 86 jours, c’est-à-dire que les listes électorales sont provisoirement arrêtées 86 jours avant le jour du scrutin.
Le faible nombre de non-nationaux inscrits sur les listes électorales est un sujet de débat récurrent. Le nombre élevé de non nationaux dans la population (43%) amène certains partis à vouloir ouvrir le droit de vote aux législatives aux non-nationaux, le plus souvent lié à certaines conditions dont surtout la durée de résidence. Une alternative à ces conditions pourrait être une ouverture plus large de l’accès à la nationalité.
*
En dehors de cette question éminemment politique, les programmes des partis pour les élections législatives du 20 octobre 2013 ont permis de relever des propositions qui concernent indirectement le système électoral :
- l’âge de 16 ans pour participer au droit de vote actif, mais non passif, à certaines conditions
- l’inscription sur les listes électorales (automatique ou volontaire)
- la question du nombre de députés, fixé à 60 depuis les élections de 1989
- le député « professionnel »
- l’interdiction du cumul de mandats d’élus communaux et nationaux.
D’autres questions concernant directement le système électoral sont soulevées:
- le nombre de circonscriptions
- le vote obligatoire
- l’attribution des sièges (calcul selon la population résidente ou le nombre d’électeurs ; méthode d’attribution).
Enfin, plus largement, il est proposé d’introduire dans la pratique de la démocratie parlementaire une dose plus importante de participation directe du peuple:
- par un recours plus fréquent au référendum
- par un référendum contraignant
- par l’initiative législative populaire.
Subsidiairement apparaissent des propositions comme
- la limitation dans le temps des mandats ministériels (2 mandatures)
- l’importance de séparer dans le temps les élections nationales et européennes
- le principe de la chambre unique ou un système à deux chambres (Conseil d’État, communes).
Enfin, on peut se poser la question s’il est adéquat d’appliquer un système identique dans les trois sortes d’élections (Chambre, communes de plus de 3000 habitants, Parlement européen).
*
Ce bref résumé s’inspire des questions récurrentes qui sont posées dans les recherches sur les résultats électoraux:
- Le Luxembourg a-t-il besoin d’une seule chambre législative ou de deux? Le Conseil d’Etat doit-il évoluer vers une deuxième chambre ? Si l’incompatibilité du mandat communal et du mandat législatif est arrêtée, les communes doivent-elles être représentées par une chambre des communes? Le rôle des chambres professionnelles doit-il être revu? Quel sera le rôle du CES dans ce scénario?
- Le panachage et le vote préférentiel ont des effets importants puisqu’ils tendent à effacer les clivages politiques au profit des personnalités. Ils sont difficiles à comprendre par des électeurs peu au fait des règles du jeu. Faut-il abolir ou restreindre l’influence du panachage et du vote préférentiel ? Peut-on imaginer un système mixte (majoritaire, proportionnel) ou un système de liste bloquées ? Quel peut être l’intérêt de modifier le scrutin proportionnel pour améliorer la représentation des femmes, des jeunes, des étrangers ?
- Etant donné la mobilité à l’intérieur d’un pays aux dimensions restreintes, les quatre circonscriptions déterminées en 1919 et répondant alors à une réalité socio-économique précise font-elles encore sens aujourd’hui ? Ne faut-il pas prévoir une circonscription unique?
- D’autre part, des cantons moins peuplés du pays (Mersch, Redange) ont naguère plaidé pour une cinquième circonscription ; faut-il aller dans ce sens?
- L’obligation de vote est-elle conforme à la nature d’un vote démocratique ? Qu’en est-il de l’obligation de vote des Luxembourgeois à l’étranger ?
- L’inscription sur les listes électorales est automatique pour les nationaux qui ne peuvent pas se faire rayer des listes. Comment faut-il procéder logiquement pour les étrangers ?
- Le nombre de députés, actuellement fixé à 60 quelle que soit l’évolution de la population, ne doit-il pas évoluer et selon quel critère ?
- La méthode d’attribution des sièges (méthode de la plus forte moyenne ou du plus fort reste) doit-elle être mise en question pour faciliter l’accès à la Chambre de petits partis nouveaux? En d’autres termes, faut-il privilégier la représentation des opinions ou la mise en place d’un gouvernement stable et efficace ?
*
Une importante question concerne le référendum (et les pétitions, telles que la Chambre vient de les régler comme instrument d’intervention politique des citoyens). Si la politique veut y avoir recours plus souvent, il faut l’inscrire dans la cohérence du système institutionnel. Sera-t-il consultatif ou décisionnel? Une pétition publique peut-elle mettre en question une loi déjà votée par le Parlement et de quelle façon ? Quelles seront les conditions dans le cadre desquelles se prépare et se fait un référendum? Quels seront les moyens à prévoir pour les campagnes?
*
L’objectif central d’un système électoral est
- de dégager les courants d’opinion dans l’opinion publique,
- de dégager des choix politiques essentiels
- et de dégager un personnel politique capable de gérer le pays.
A partir de cet objectif général on peut s’interroger sur les quatre questions suivantes :
1. Le système électoral tel qu’il fonctionne actuellement suffit-il aux besoins d’expertise de la gouvernance du pays dans un monde en changement rapide ? En particulier, permet-il l’émergence d’élites politiques capables de répondre à ces besoins ?
2. Le système électoral actuellement en vigueur répond-il à l’objectif général indiqué ou doit-il être réformé? Si oui, de quelle façon ?
- La personnalisation poussée du système due au panachage et au vote préférentiel doit-elle être atténuée, et la clarté des choix politiques privilégiée, et de quelle façon ? Un système de listes bloquées ou un système mixte ( Allemagne fédérale) est-il à envisager ?
- Le découpage en quatre circonscriptions correspond-il aujourd’hui encore à une réalité économique et sociale ? Une circonscription unique suffirait-elle pour atteindre l’objectif fixé ? Quels seraient les aménagements nécessaires pour un système à circonscription unique ?
- L’émergence de nouveaux courants d’opinion, donc de nouveaux partis, est-elle suffisamment possible ou faut-il la faciliter?
- Le nombre de députés, fixé à 60 depuis 1988, correspond-il à l’évolution de la population ? Faut-il diminuer ce nombre ou l’augmenter ?
3. Les élections sont considérées comme le fondement du contrat entre le peuple souverain et l’Etat. D’où l’obligation de vote et l’ inscription automatique des nationaux sur les listes électorales, mais aussi une préférence implicite aux principales forces politiques en place et une prime à la permanence et à la stabilité politiques par la méthode d’attribution des sièges. Faut-il, à travers le système électoral, continuer à privilégier la stabilité ou au contraire privilégier une plus grande mobilité et ouverture (jeunes, femmes, étrangers, mobilité sociale : secteur public, secteur privé) ? Quel est l’intérêt à cet égard de mesures anti cumul ou de restrictions de la durée des mandats?
4. Qui, outre les « élus du peuple », doit contribuer à gérer l’Etat et de quelle façon? C’est la question du rôle « politique » des hauts fonctionnaires, des experts et des consultants externes, des corps consultatifs. C’est aussi la question de la participation directe du peuple . Quel est, dans ce contexte, le rôle des mécanismes de dialogue social ? Celui des lobbies ? Que reste-t-il comme pouvoir réel au Parlement ? Ne faut-il pas clarifier les rôles respectifs pour permettre une meilleure lisibilité et la transparence du système et des mécanismes de décision? Elaborer une déontologie des relations entre les élus et les experts en tout genre ?